Autour d’un pique-nique chez le vigneron indépendant
Récit d'un week-end de Pentecôte en Alsace
Il faut en accepter l'évidence, ce dimanche et lundi de Pentecôte, l'Esprit-Saint est bel et bien descendu sur la route des vins d'Alsace pour qu'on y parle toutes les langues : on y entend des rires et des éclats de voix qui ne sont pas seulement alsaciens mais aussi flamands, allemands, belges et suisses (avec toutes leurs déclinaisons régionales) et même, ici ou là, anglo-saxons.
Panier de pique-nique au bras ou glacière à la main, des amateurs de nos grands blancs venus d’un peu partout se sont donnés rendez-vous chez plus de 80 familles de vignerons indépendants pour un rendez-vous annuel devenu incontournable : le pique-nique de la Pentecôte.
Une idée originale des Vignerons Indépendants d’Alsace qui a fait son chemin dans toute la France
Né en Alsace en 1995 à l’initiative des Vignerons Indépendants d’Alsace, le «Pique-nique Chez le Vigneron Indépendant®» n’a cessé d’accroître sa popularité. Au fil des années, le mouvement des Vignerons Indépendants de France a étendu la manifestation au niveau national. Cette année, 400 domaines répartis dans 31 départements de toutes les régions viticoles de France ont participé. En Alsace, le «Pique-nique Chez le Vigneron Indépendant®» est devenu un événement incontournable de notre région et attire chaque année près de 20 000 personnes (84 domaines participants en Alsace en 2016).
Depuis un moment déjà la date était gravée dans le marbre virtuel de mon smartphone avec force alertes à la clé. Orschwiller le dimanche et Dambach-la-Ville le lundi, de quoi passer un joyeux week-end à la découverte de vins et de compagnons de tablée toujours différents !
Jean-Yves Fahrer, vigneron et occasionnel chauffeur de barbecue aux sarments de vigne à Orschwiller
Tous ceux qui ont parcouru la route des vins d’Alsace entre Sélestat et Colmar se souviennent de cette église majestueuse qui couronne le village d’Orschwiller au pied du château du Haut-Koenigsbourg. Mais à force de passer sur la route et d’admirer le paysage on en oublie parfois d’entrer dans le village lui-même… Et pourtant, il est beau et croquignolet ce village d’Orschwiller ! Il faut monter la rue principale tout droit jusqu’en haut. Installé dans l’ancienne demeure du bailli, le domaine Paul Fahrer s’ouvre alors juste face à vous…
Lorsque je franchis le porche en ce dimanche de Pentecôte, bien après l’heure de la fin de la messe dominicale, l’Esprit-Saint a déjà dispensé largement ses talents polyglottes. La cour résonne d’accents germaniques et bruxellois bien stimulés par les flacons que Jean-Yves avait généreusement mis à la disposition de ses convives du jour.
A ce propos, où est-il, le maître de maison ? Aucune trace de lui derrière les vieux fûts qui font office de présentoir pour ses vins. S’est-il joint aux joyeuses tablées qui attaquent vaillamment les salades de pomme de terre et autres charcutailles apportées par chacun ? Que nenni. Mais voici une ombre qui bouge au travers de la fumée odorante qui s’élève au milieu de la cour… Jean-Yves, caché derrière un gros barbecue maison, re-active vivement une braise de vieux ceps et de sarments. Un jour de Pentecôte, quand on est vigneron indépendant, il n’est pas suffisant d’être bon dans la vigne et dans la cave, il faut aussi savoir se transformer en chauffeur de barbecue afin que les grillades destinées à accompagner le vin de la maison soient bien saisies !
Un groupe d’Allemands venus de Sarre avoue, après avoir subi abondamment l’épreuve du sérum de vérité versé par Jean-Yves, loger dans le village voisin de Saint-Hippolyte. Ils viennent en Alsace tous les ans à l’occasion de ce pique-nique chez le vigneron indépendant et à chaque fois, vont découvrir un nouveau domaine.
Les 6 hectares de la propriété, essentiellement de vieilles vignes autour du village sur les pentes du Haut-Koenigsbourg, viennent d’être repris par Jean-Yves, à la suite de son père Paul.
Jean-Yves cherche à obtenir les raisins les plus mûrs possibles.
Il s’efforce donc d’améliorer la vie du sol par des bêchages et par un enherbement naturel maîtrisé.
Autre exigence: une densité de plantation limitée et une utilisation de fumier de vache ou d’engrais organique.
Ses vins sont régulièrement remarqués et primés. Le pinot noir réussit particulièrement bien à ce terroir et je dois avouer que j’ai un gros faible pour ses cuvées de pinot noir et de crémant brut blanc de noirs.
Lundi de Pentecôte sur le coteau pentu du Frankstein à Dambach-la-Ville
Lundi, direction Dambach-la-Ville, un autre village viticole encore blotti dans ses remparts. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce week-end-là n’aura pas été de tout repos pour Mathilde et Florian Beck-Hartweg !
A peine rentrés du salon des vins libres à Strasbourg, le jeune couple de vignerons enchaîne avec le pique-nique du lundi de Pentecôte, bien épaulés par des parents restés très actifs. La météo étant menaçante, les tables ont été disposées à l’abri des averses mais le roi soleil se montre finalement plutôt clément.
Un bel Auxerrois Vielles Vignes est servi en apéritif et précède les autres vins du domaine pendant le repas.
Le déjeuner et l’averse passés, les plus courageux prennent la direction des coteaux sous la conduite d’Yvette, la maman de Florian. Yvette a repris le vignoble de ses parents dès 1982. La recherche de la production de vins de garde bien concentrés et de la santé des sols furent ses premières préoccupations. Elle fut l’une des premières dans la région à enherber les vignes, dès 1982 !
Avec son mari Michel, elle a initié la conversion du domaine au bio avec l’abandon total de l’utilisation de produits chimiques dès 2008 et des raisins certifiés AB dès le millésime 2011… Florian pousse le bouchon plus loin encore : une partie des cuvées est maintenant produite sans sulfites et sans filtration.
Notre petit groupe avance sur le chemin de la vigne avec Yvette qui connait son sujet sur le bout des doigts. De cep en sarment, elle nous enseigne les rudiments de la vie du vignoble. Et surtout sa façon à elle de conduire la vigne. Je ne suis pas technicien mais j’en retiens que pendant trois décennies Yvette a pris le temps d’observer et de comprendre la nature et de s’en faire une amie. Compréhension et travail des sols pour éviter les ravinements et pour tirer le maximum du terroir granitique.
Et pour que la végétation périphérique à la vigne apporte son concours à la maturation du raisin. Recherche des alliés naturels que sont les coccinelles et les oiseaux dans la lutte contre les parasites…
Grâce à ce minutieux travail d’accompagnement, un jour, à l’automne, la vigne donnera de belles grappes gorgées de soleil mais aussi de saveurs venues des profondeurs granitiques du Frankstein, le coteau grand cru de Dambach-la-Ville. Il faudra revenir à la période des vendanges. Et en hiver aussi…
Un reportage signé
Textes et Photos : Jean-Paul Krebs
Remerciements : Jean-Yves du Domaine Paul Fahrer à Orschwiller; Florian, Mathilde, Yvette et Michel du Domaine Beck-Hartweg à Dambach-la-Ville